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Comment Vivendi “a allumé” Bouygues Télécom pour lui mettre “un râteau”
Vivendi aurait-il mis la friandise SFR sous le nez du groupe Bouygues pour lui retirer aussitôt ? C’est la nouvelle mouture du scénario rocambolesque des télécoms exposé aujourd’hui dans les colonnes du Monde : économie et entreprises.
Selon le journal, alors que personne n’aurait misé sur une offre de Bouygues pour le rachat de SFR, c’est Jean-René Fourtou lui-même qui aurait appelé, début février, Martin Bouygues pour lui suggérer de s’intéresser au dossier SFR : une occasion en or que Martin Bouygues n’a pu depuis s’enlever de la tête. Illico presto subito, Martin Bouygues et son groupe de construction ouvrent le chantier "chasse à SFR". Il sollicite les banques Rothschild et HSBC, envoie un courrier officiel à l’AVICCA à Arnaud Montebourg, Bouygues s’active comme jamais…
Vivendi ne se doute pas une seconde que l’offre de Bouygues puisse être crédible, il joue de l’offre qui se prépare chez Bouygues, en profite pour exciter Numericable sur le dossier, et montre qu’il envisage finalement de revendre SFR plutôt que de l’introduire en bourse. Il joue ensuite sur les délais de réponse à l’offre : après une réponse vague annonçant qu’il choisira le scénario fin mars, Vivendi raccourcis au dernier moment le délai et d’imposer aux deux candidats un dépot d’offre avant le 12 mars, il reste moins d’une semaine à Numericable et Bouygues pour boucler le dossier.
Numéricable et Bouygues ont quelques jours pour finaliser leur offre. Numericable qui travaille sur le sujet depuis le début de l’année 2013, a de l’avance. Bouygues a de gros problèmes concurrentiels : s’il rachète SFR, l’entité Bouygues-SFR sera stoppée nette par l’Autorité de la Concurrence : trop de doublons, trop d’activités similaires, trop de fréquences, trop gros pour être possible… Bouygues doit maigrir pour passer la pesée auprès de l’Autorité de la Concurrence et remonter sur le "ring" des télécoms.
Tout se passe bien pour Vivendi qui a réussi à faire monter les enchères, jusqu’à ce que l’impensable arrive. Qui aurait pu imaginer que Xavier Niel et Martin Bouygues, arriveraient à s’entendre en un week-end pour lever la barrière de la concurrence ? Martin Bouygues promet à Free 15 000 antennes et une partie de ses fréquences contre 1,8 milliard d’euros : un réseau et des fréquences pour l’un, un bon de passage et une lévée de cash pour l’autre, il n’y a pas d’ennemi quand le carnet de chèque est de sortie. Cet accord a priori impossible a été négocié en trois jours entre Bouygues et Free, change complètement la donne. Bouygues passe d’outsider à grand favoris pour rafler le pactole. Xavier Niel dévient même le premier soutien à Martin Bouygues quand trois mois plus tôt les deux hommes se déclaraient une guerre ouverte.
Le président de l’Autorité de la Concurrence lui-même estime que cet accord pourrait faire considérablement avancer le dossier. Les soutiens à l’offre de Bouygues se multiplient : Xavier Niel, Arnaud Montebourg, Stéphane Richard... Les carottes sont cuites pour Vivendi qui a joué avec le feu. On ne réveille pas un ogre qui est à la diète depuis l’arrivée de Free Mobile. Martin Bouygues fait jouer tout son réseau, notamment pour être reçu par le président de la République et lui exposer son projet à quelques jours de remttre son offre officielle.
Pour les administrateurs de Bouygues : "il y a eu un avant et un après Free. À partir du moment où nous avons réglé le problème de concurrence, on nous a mis des bâtons dans les roues."
Ces derniers suspectent même Vivendi d’avoir transmis à Patrick Drahi le contenu de l’offre de Bouygues pour que ce dernier apporte une dernière rallonge financière. L’actionnaire de Numericable qui avait assuré dans le journal les Echos le 11 mars, qu’il ne relèverait pas son offre, se met dès le lendemain en quête de nouveaux financements pour proposer une rallonge de 450 millions d’euros supérieure à Bouygues.
Les 850 millions d’euros par rapport à l’offre initiale de Numericable auraient été rajoutés après que Bouygues ait déposé officiellement son offre, le mardi 12 à 20 heures, date officielle de remise des copies comme l’exigeait Vivendi. Numericable aurait donc, de son côté joué, sur les délais pour, non pas déposer son offre à 20h comme initialement prévu, mais envoyé un courriel avant de déposer l’offre, dans la nuit, du mercredi 12, au jeudi 13, à 2 heures du matin, autrement dit hors délais.
Alors que Vivendi, prend quelques jours de réflexion, Jean-René Fourtou met un lapin à l’Elysée et décide le jeudi 14 au soir dans son comité Ad Hoc de privilégier Numericable. L’argent appelant l’argent, les actionnaires de Vivendi ont surtout vu l’écart de 450 millions entre les deux offres : pour Henri Lachmann, président de ce comité ad hoc de Vivendi, "450 millions d’euros, on ne peut pas cracher dessus."
La suite, vous la connaissez, Vivendi offre trois semaines d’exclusivité à Numericable, Bouygues rage dans son coin estimant que "cet appel d’offres a été mené de bout en bout de manière opaque par Vivendi". Ce proche de Bouygues annonce qu’il ne va pas " laisser faire et le gouvernement non-plus."
La contre-offre de Bouygues et l’acharnement du gouvernement sur Numericable changent complètement la donne. Vivendi est désormais pris à son propre jeu, Bouygues et Numericable sont désormais prêts à tout, y compris aller en justice, pour récupérer leur dû.