Réseau fixe : Free, Bouygues Telecom et d’autres opérateurs européens redoutent une vague de re-monopolisation et tirent la sonnette d’alarme
Le directeur général du groupe Iliad, maison mère de Free, Thomas Reynaud, s’est joint à plusieurs patrons d’opérateurs européens pour signer une déclaration commune adressée à la Commission européenne. Ils s’opposent à un projet de dérégulation du marché fixe jugé dangereux pour l’investissement et la souveraineté numérique du continent.
Alors que la Commission européenne envisage d’assouplir les règles encadrant l’accès aux réseaux fixes, plusieurs grands opérateurs télécoms, comme Iliad, manifestent leur vive inquiétude. Dans une déclaration commune signée par leurs dirigeants, ils appellent à maintenir un cadre réglementaire stable pour préserver la dynamique d’investissement dans la fibre optique.
Thomas Reynaud, directeur général du Iliad, a ainsi apposé le 10 juillet sa signature à ce manifeste intitulé « Pourquoi l’Europe ne doit pas déstabiliser la confiance des investisseurs dans le marché fixe ». Les signataires de cette déclaration incluent également les dirigeants de Bouygues Telecom, Colt Technology Services, Eurofiber, Fastweb et Vodafone Italie, Open Fiber, Three Group (CK Hutchison), 1&1 AG et Vodafone Group.
Voici la transcription en français de cette déclaration :
Pourquoi l’Europe ne doit pas déstabiliser la confiance des investisseurs dans le marché fixe
La stabilité réglementaire est essentielle pour stimuler l’investissement dans la connectivité
Depuis des décennies, les consommateurs et entreprises européens bénéficient de choix, de valeur et d’innovation dans l’infrastructure fixe haut débit, grâce à un cadre réglementaire prévisible qui a réduit les barrières à l’entrée.
La régulation européenne visait à équilibrer la concurrence avec la nécessité d’encourager les investissements de long terme requis pour construire et exploiter des réseaux fibre de qualité.
Contrairement au mobile, l’accès fixe – notamment via les fourreaux et poteaux – reste de fait un monopole naturel dans une grande partie de l’UE, et il est impossible à répliquer entièrement.
Pour desservir les entreprises et professionnels européens, les opérateurs doivent proposer de la connectivité dans divers sites, urbains comme ruraux. Or, seuls les opérateurs historiques ont une couverture nationale complète. L’accès de gros reste donc essentiel.
Il est donc alarmant que la Commission européenne propose aujourd’hui d’assouplir la régulation des anciens monopoles fixes.
Nous pensons que ces propositions sont un recul. Une dérégulation de l’accès de gros mènerait à une reconstitution de monopoles, freinant concurrence et investissements, notamment lors de la transition du cuivre à la fibre.
Cette approche va à l’encontre des principes de concurrence défendus par la Commission depuis des décennies. Elle renforcerait la domination dans les zones moins desservies, ralentissant le déploiement de la fibre et l’accès au très haut débit pour des millions d’Européens.
Il serait donc prématuré et nuisible à la stabilité réglementaire de s’éloigner du modèle ex-ante bien établi ou de retirer tous les marchés de la Recommandation sur les Marchés Pertinents (RRM).
Cela affaiblirait l’attractivité de l’investissement dans le fixe en Europe, mettant en péril des milliards d’euros engagés par le secteur privé et décourageant les investisseurs.
Les propositions actuelles de la Commission risquent également de limiter l’adoption des services numériques, freiner l’innovation réseau et compromettre les objectifs de la Décennie numérique 2030 de l’UE.
Nous appelons donc la Commission à maintenir un cadre prévisible reposant sur les principes suivants :
- Préserver le modèle pour favoriser la concurrence, les investissements et le choix pour les consommateurs. La régulation ex-ante reste indispensable pour l’accès local de gros (marché 1) et la capacité dédiée pour les entreprises (marché 2), y compris l’accès à la fibre noire. Les obligations symétriques de la Gigabit Infrastructure Act ne suffisent pas à elles seules pour réguler les puissances de marché excessives.
- Garantir l’accès aux infrastructures physiques, notamment les fourreaux et les poteaux, souvent toujours contrôlés par un seul opérateur.
- Finaliser d’abord le Digital Networks Act avant de réformer le cadre RRM. L’impact de cette stratégie doit être pleinement évalué avant tout changement. Aujourd’hui, 23 régulateurs nationaux sur 27 régulent encore le marché 1 et 15 le marché 2.
- Les investissements de long terme dans la fibre nécessitent une certitude réglementaire. La réussite de la Décennie numérique 2030 dépendra d’une approche équilibrée et fondée sur des preuves.
Sans cela, l’Europe prendra du retard face aux autres puissances, au risque d’une croissance faible, d’un niveau de vie stagnante et d’un continent moins sécurisé.
Nous appelons donc la Commission à travailler étroitement avec l’industrie et les régulateurs nationaux pour garantir que le cadre réglementaire continue à soutenir l’investissement et la concurrence, au bénéfice de tous les acteurs.