13/12
Duel Numericable/Bouygues pour SFR : l’un a tout à gagner, l’autre tout à perdre
Alors que les dirigeants de Vivendi ont fixé un délai de 48 heures pour recevoir une proposition d’achat pour sa filiale SFR, deux acteurs semblent principalement s’intéresser à ce dossier : Bouygues et Numéricable.
Si Free était, l’année passée, pas loin de réussir à s’offrir l’opérateur au Carré Rouge, il semble manifester moins d’intérêt cette année que les deux autres protagonistes.
Les deux candidats ont un profil on ne peut plus différent avec leurs atouts et leurs faiblesses.
D’un côté Numéricable, leader des réseaux câblé en France, mais déjà très endetté, souhaiterait s’approprier SFR pour, non seulement permettre à de nombreux abonnés SFR en ADSL de migrer sur son réseau câblé, mais profiter par la même occasion du réseau mobile dont dispose l’opérateur en vente. Ce dernier a déjà signé un accord avec SFR pour l’accueil des clients 4G de Numéricable
Sa faiblesse réside dans son endettement et l’entrée en bourse il y a peu de Numéricable puis de la maison-mère Altice n’a permis que de dégager un peu de cash flow. Néanmoins si l’endettement fort de Numéricable pourrait être un frein, le montage financier que prévoit Numericable pourrait quand même être le scénario privilégié par les analystes du marché.
Selon Adrien Bourreau, expert Télécom du cabinet Kurt Salmon, interrogé par Zdnet, "les câblo-opérateurs ont le vent en poupe auprès des investisseurs, bien plus que les opérateurs mobiles" qui ont du mal a monétiser la 4G.
C’est bien là que le bât-blesse pour Bouygues Télécom, très présent sur le mobile mais dont les offres fixes passent pour partie en itinérance sur le réseau SFR. Leader sur la 4G depuis son lancement en octobre 2013, Bouygues souhaite désormais se lancer dans une guerre avec Free dans le marché du fixe, il a donc besoin d’actifs puissants et de doubler sa base client en fibre et ADSL.
Les deux opérateurs SFR et Bouygues ont également déjà signé un accord de mutualisation du réseau mobile, les autorités les avertissant néanmoins que cette mutualisation ne devait pas préfigurer d’une future fusion entre les deux opérateurs.
Mais Bouygues a-t-il le choix de se positionner sur ce marché ? Selon Adrien Bourreau, "Bouygues est celui qui a le plus à perdre dans l’opération." Un mariage SFR-Numericable conduirait à "des pertes rapides de parts de marché." Pour lui, la stratégie que doit adopter Bouygues est de retarder l’opération, faire monter les enchères ou "au mieux voler la mariée à Numericable." Sans cela, Bouygues serait marginalisé derrière des mastodontes de l’industrie fixe et n’aurait guerre le choix que de se rapprocher de son ennemi juré Free. "Vu l’égo des deux patrons, il y a vraiment peu de chance que cela puisse se réaliser." Bouygues est donc dos au mur. Ce sera donc SFR ou rien…
Reste l’aspect réglementaire, il n’y a pas que trois acteurs dans cette négociation. Il y a bien sur Vivendi en vendeur, Bouygues et Numéricable en acheteurs, tout projet d’achat-fusion-séparation dans les télécoms doit être soumis à l’avis du gouvernement, de l’ARCEP et de l’Autorité de la Concurrence.
Chacun des deux protagonistes dispose là aussi de d’arguments forts et de faiblesses.
Du côté de Numericable, l’Autorité de la concurrence ne devrait pas voir de problème à un rapprochement avec SFR, les deux activités étant complètement complémentaires, l’un disposant des actifs que l’autre n’a pas. Pourtant, du côté du gouvernement on pourrait avoir quelques réticences à ce projet de fusion. Le câblo-opérateur dont la maison mère est basée au Luxembourg est moins présent en France, dispose de moins d’actifs dans le pays sur d’autres secteurs et serait donc moins soumis au chantage gouvernemental à l’emploi et à l’investissement. Patrick Drahi est également beaucoup moins en contact avec le gouvernement français que son concurrent.
De l’autre, un rapprochement Bouygues-SFr serait beaucoup plus problématique pour l’emploi, les deux opérateurs disposants d’une plus large partie de leur activité similaire. Une fusion entre les deux conduirait à des suppressions de postes en doublon et une "casse sociale" qui déplairait non seulement à l’Autorité de la Concurrence mais également au gouvernement.
Pour autant à l’inverse de Numericable, le Groupe Bouygues via toutes ses filiales, dispose d’une bien plus grosse empreinte sur le territoire français entre TF1 et Bouygues Construction. Non seulement plus lié au territoire mais également aux personnalités françaises, le lobby autour d’un rapprochement Bouygues-SFR pourrait avoir plus facilement obtenir les faveurs du gouvernement et donner des garanties nécessaires. Quant à l’Autorité de la Concurrence, la proposition de Bouygues de vendre une partie de ses actifs mobiles à Free pourrait séduire le président de l’Autorité de la Concurrence, fraîchement renouvelé à son poste.
Reste que Bouygues n’a toujours pas officiellement fait d’offre pour le rachat de SFR. L’heure tourne, si aucune offre ne parvient sur les tablettes de SFR d’ici 48 heures, seul Numericable sera en lice.